De part et d'autre ***

En attendant sur Twitter

dimanche 27 septembre 2009

Randomixtape 1 / Roll Bus Roll

Première "mixtape" donc. Il suffit de cliquer sur le triangle pour écouter. "Roll Bus Roll" c'est le titre de Jeffrey Lewis & the Junkyard (très bon album "Em Are I")...cette chanson c'est un peu mon rythme et ma vie ces derniers temps : entre déménagements, départs, retours, aurevoirs, retrouvailles, autobus, trains et avions...



MusicPlaylistRingtones
Music Playlist at MixPod.com

The Velvet Underground - Venus in Furs - Andy Warhol's exploding plastic inevitable

Jan Pehechan - Ho by Mohammed Rafi

samedi 26 septembre 2009

Random

Une petite sélection de musique écoutée dernièrement :


Dirty French Psychedelics Selected by Dirty Sound System. Une compilation de musique psyché made in France, dans les années 70. Avec des curieux titres de Nino Ferrer, Bernard Lavilliers (oui!), Brigitte Fontaine, Dashiell Hedayat etc. A écouter absolument.




Land Of Kush - Against the Day. Du La bel Constelation reccord : http://cstrecords.com/ de Montréal. Un label indépendant fonctionnant dans un esprit plutôt communautaire/anti-capitaliste. Label plutôt orienté Post-rock mais pas que. Sam Shalabi et les musiciens de Land of Kush mettent en musique les écrits du romancier Thomas Pynchon.Sur scène c'est incroyable: une trentaine de musiciens inspiré des grands ensemble de la musique égyptienne mais avec une touche (légère pour les réticents) expérimentale et post-rock. Un de mes disques préférés de l'année dernière. Pas de concerts prévus en Europe pour l'instant pour cause de grand ensemble et de peu de moyens.



Clues - Clues. Avec une vidéo plus bas. Du label Constellation également. Un de mes disques rock (pop?) de l'année dernière.




Blind Blake & the Royal Victoria Hotel Calypsos - Bahamian songs. Blind Blake (à ne pas confondre avec le bluesman) et son groupe jouait au Royal Victoria Hotel à Nassau dans les Bahamas autour des années 50. Louis Amstrong, Ellington et Johny Cash adoraient. il a été pillé par ce vieux pirate de Hary Belafonte.
C'est du Calypso mâtiné de blues, folk. Un rayon de soleil dans votre bol de céréales. 


Legends Of Bénin:  Afro- Funk Gavacha Afro -Beat. Dans la série Crevons la grisaille. Une compilation de légendes du Bénin des années 60-70 comme son nom l'indique. 
Dengue Fever - Venus on Earth. Du Khmer rock psychédélique comme on en faisant dans les années 70 revisité par des californiens et une chanteuse cambodgienne.  
Brothers Unlimited - Who's for the young. La photo de l'album dit tout: de la soul, du funk.  
Kings of Convenience – Declaration of Dependence. Des suédois squattant Copacabana. 
Monsters of folk. Ouais le nom se la pète un peu mais il faut dire qu'y participent notamment M.Ward et Conor Oberst.
Broadcast -Tender Buttons. Cela m'avait échappé dans les années 90, à (re)découvrir. Entre pop, folk et électo. La chanson "Corporeal" parfaite pour faire la vaisselle.
 Atlas Sound - Logos. Le deuxième groupe de Bradford Cox (de Deerhunter). Même si je préfère le premier album "Let the blind lead those who can see but cannot feel" (2008). Du pop, rock, planant, athmosphérique (difficile à classer).  
Girls - Album.  De la pop californienne vaguement psychédélique 80's avec des accents 50's. Cela ne veut rien dire.

The XX - XX. Après girls, c'est XX qui essaie de déjouer les pirates pour qu'ils se retrouvent malencontreusement à télécharger du porno. Là on est dans les années 80, un peu à la Young Marble Giants, Cure. 
Yatch - See Mistery Light.  Les Yatch revisitent les 80's également. Avec un même goût de chiottes pour les pochettes.



Ducktails - Landscape. Du label Not Not Fun (j'aime bien le nom). Un ptit gars qui fait de la musique Lo-fi expérimentale dans sa salle de bain. On ne sait pas grand chose sur lui.

Jandek - You walk alone.  Jandek (groupe ou personage?) fait de la musique depuis 1978. C'est plutôt du Blues radical et expérimental. Encore moins d'infos sur lui, il s'entoure d'un certain mystère mais pas moins de 60 albums à son actif. Cet album (1988) est plutôt accessible, contrairement à d'autres poussant le bouchon très loin. Vu en concert à NYC : tout une expérience.



Einstürzende Neubauten – Silence Is Sexy. Le fameux groupe allemand industriel se calme. Quand le silence devient sexy.



vendredi 25 septembre 2009

Clip Clac

En attendant le Top 50

Voici Duchess Says, des jeunes qui en veulent de Montréal :




La tendance est un peu à l'électro-rock crado...
We Are Wolves...aussi d'ici. Délire mystico-chamanique.


We Are Wolves || Coconut Night from Dare To Care Records on Vimeo.



Mes préférés : Clues (album du même nom) parru chez le label Constellation Records de Montréal (God Speed, Sylver Mount Zion etc. mais en plus "pop" pour Clues).Cette vidéo donne un peu un aperçu de Montréal l'hiver...lieu de tournage pas très loin de chez moi.

Clues - "Haarp" from Clues on Vimeo.


Sinon j'aime bien ça (déjà grafiquement ça flash...rien à voir avec WAW ci-dessus) : DD/MM/YYYY, c'est le nom du groupe pour "jour, mois, année)

jeudi 24 septembre 2009

Visualizing empires

Une animation réalisée par Pedro M Cruz. Elle représente l’évolution des quatre principaux empires maritimes (britannique, espagnol, portugais et français) aux 19e et 20e siècle.Chaque empire est représenté par une bulle de couleur qui grossit au fur-et-à-mesure de son extension. Des morceaux se détachent lorsque des colonies deviennent indépendantes.

Visualizing empires decline from Pedro M Cruz on Vimeo.

mercredi 23 septembre 2009

Moi, Mustapha Kessous, journaliste au "Monde" et victime du racisme

Un bon article pioché sur le site du monde. Témoignage affligeant et précis du racisme au quotidien.Je continuerais donc dans ce blog à mettre en ligne des articles m'ayant marqué.
Je rajouterais parfois des illustrations personnelles (photos ou base de donnée image).




Récit

Moi, Mustapha Kessous, journalisme au "Monde" et victime de racisme

LE MONDE / 23.09.09


Brice Hortefeux a trop d'humour. Je le sais, il m'a fait une blague un jour. Jeudi 24 avril 2008. Le ministre de l'immigration et de l'identité nationale doit me recevoir dans son majestueux bureau. Un rendez-vous pour parler des grèves de sans-papiers dans des entreprises. Je ne l'avais jamais rencontré. Je patiente avec ma collègue Laetitia Van Eeckhout dans cet hôtel particulier de la République. Brice Hortefeux arrive, me tend la main, sourit et lâche : "Vous avez vos papiers ?


Trois mois plus tard, lundi 7 juillet, jour de mes 29 ans. Je couvre le Tour de France. Je prépare un article sur ces gens qui peuplent le bord des routes. Sur le bitume mouillé près de Blain (Loire-Atlantique), je m'approche d'une famille surexcitée par le passage de la caravane, pour bavarder. "Je te parle pas, à toi", me jette un jeune homme, la vingtaine. A côté de moi, mon collègue Benoît Hopquin n'a aucun souci à discuter avec cette "France profonde". Il m'avouera plus tard que, lorsque nous nous sommes accrédités, une employée de l'organisation l'a appelé pour savoir si j'étais bien son... chauffeur.


Je pensais que ma "qualité" de journaliste au Monde allait enfin me préserver de mes principaux "défauts" : être un Arabe, avoir la peau trop basanée, être un musulman. Je croyais que ma carte de presse allait me protéger des "crochets" balancés par des gens obsédés par les origines et les apparences. Mais quels que soient le sujet, l'endroit, la population, les préjugés sont poisseux.




J'en parle souvent à mes collègues : ils peinent à me croire lorsque je leur décris cet "apartheid mental", lorsque je leur détaille les petites humiliations éprouvées quand je suis en reportage, ou dans la vie ordinaire. A quoi bon me présenter comme journaliste au Monde, on ne me croit pas. Certains n'hésitent pas à appeler le siège pour signaler qu'"un Mustapha se fait passer pour un journaliste du Monde !"




Ça fait bien longtemps que je ne prononce plus mon prénom lorsque je me présente au téléphone : c'est toujours "M. Kessous". Depuis 2001, depuis que je suis journaliste, à la rédaction de Lyon Capitale puis à celle du Monde, "M. Kessous", ça passe mieux : on n'imagine pas que le reporter est "rebeu". Le grand rabbin de Lyon, Richard Wertenschlag, m'avait avoué, en souriant : "Je croyais que vous étiez de notre communauté."

J'ai dû amputer une partie de mon identité, j'ai dû effacer ce prénom arabe de mes conversations. Dire Mustapha, c'est prendre le risque de voir votre interlocuteur refuser de vous parler. Je me dis parfois que je suis parano, que je me trompe. Mais ça s'est si souvent produit...


A mon arrivée au journal, en juillet 2004, je pars pour l'île de la Barthelasse, près d'Avignon, couvrir un fait divers. Un gamin a été assassiné à la hachette par un Marocain. Je me retrouve devant la maison où s'est déroulé le drame, je frappe à la porte, et le cousin, la cinquantaine, qui a tenté de réanimer l'enfant en sang, me regarde froidement en me lançant : "J'aime pas les Arabes." Finalement, il me reçoit chez lui.


On pensait que le meurtrier s'était enfui de l'hôpital psychiatrique de l'endroit : j'appelle la direction, j'ai en ligne la responsable : "Bonjour, je suis M. Kessous du journal Le Monde..." Elle me dit être contente de me recevoir. Une fois sur place, la secrétaire lui signale ma présence. Une femme avec des béquilles me passe devant, je lui ouvre la porte, elle me dévisage sans me dire bonjour ni merci. "Il est où le journaliste du Monde ?", lance-t-elle. Juste derrière vous, Madame : je me présente. J'ai alors cru que cette directrice allait s'évanouir. Toujours pas de bonjour. "Vous avez votre carte de presse ?, me demande-t-elle. Vous avez une carte d'identité ?" "La prochaine fois, Madame, demandez qu'on vous faxe l'état civil, on gagnera du temps", riposté-je. Je suis parti, évidemment énervé, forcément désarmé, avant de me faire arrêter plus loin par la police qui croyait avoir... trouvé le suspect.





Quand le journal me demande de couvrir la révolte des banlieues en 2005, un membre du club Averroès, censé promouvoir la diversité, accuse Le Monde d'embaucher des fixeurs, ces guides que les journalistes paient dans les zones de guerre. Je suis seulement l'alibi d'un titre "donneur de leçons". L'Arabe de service, comme je l'ai si souvent entendu dire. Sur la Toile, des sites d'extrême droite pestent contre "l'immonde" quotidien de référence qui a recruté un "bougnoule " pour parler des cités.


Et pourtant, s'ils savaient à quel point la banlieue m'était étrangère. J'ai grandi dans un vétuste appartement au coeur des beaux quartiers de Lyon. En 1977, débarquant d'Algérie, ma mère avait eu l'intuition qu'il fallait vivre au centre-ville et non pas à l'extérieur pour espérer s'en sortir : nous étions parmi les rares Maghrébins du quartier Ainay. Pour que la réussite soit de mon côté, j'ai demandé à être éduqué dans une école catholique : j'ai vécu l'enfer ! "Retourne dans ton pays", "T'es pas chez toi ici", étaient les phrases chéries de certains professeurs et élèves.





Le 21 décembre 2007, je termine une session de perfectionnement dans une école de journalisme. Lors de l'oral qui clôt cette formation, le jury, composé de professionnels, me pose de drôles de questions : "Etes-vous musulman ? Que pensez-vous de la nomination d'Harry Roselmack ? Si vous êtes au Monde, c'est parce qu'il leur fallait un Arabe ?"

A plusieurs reprises, arrivant pour suivre un procès pour le journal, je me suis vu demander : "Vous êtes le prévenu ?" par l'huissier ou le gendarme en faction devant la porte du tribunal.

Le quotidien du journaliste ressemble tant à celui du citoyen. Depuis plusieurs mois, je cherche un appartement. Ces jours derniers, je contacte un propriétaire et tombe sur une dame à la voix pétillante : "Je m'appelle Françoise et vous ?" "Je suis M. Kessous ", lui répondis-je en usant de mon esquive habituelle. "Et votre prénom ?", enchaîne-t-elle. Je crois qu'elle n'a pas dû faire attention à mon silence. Je n'ai pas osé le lui fournir. Je me suis dit que, si je le lui donnais, ça serait foutu, qu'elle me dirait que l'appartement avait déjà été pris. C'est arrivé si souvent. Je n'ai pas le choix. J'hésite, je bégaye : "Euhhhhh... Mus... Mustapha."




Au départ, je me rendais seul dans les agences immobilières. Et pour moi - comme par hasard - il n'y avait pas grand-chose de disponible. Quand des propriétaires me donnent un rendez-vous pour visiter leur appartement, quelle surprise en voyant "M. Kessous" ! Certains m'ont à peine fait visiter les lieux, arguant qu'ils étaient soudainement pressés. J'ai demandé de l'aide à une amie, une grande et belle blonde. Claire se présente comme ma compagne depuis cet été et fait les visites avec moi : nous racontons que nous allons prendre l'appartement à deux. Visiblement, ça rassure.


En tout cas plus que ces vigiles qui se sentent obligés de me suivre dès que je pose un pied dans une boutique ou que ce vendeur d'une grande marque qui ne m'a pas ouvert la porte du magasin. A Marseille, avec deux amis (un Blanc et un Arabe) - producteurs du groupe de rap IAM -, un employé d'un restaurant a refusé de nous servir...


La nuit, l'exclusion est encore plus humiliante et enrageante, surtout quand ce sont des Noirs et des Arabes qui vous refoulent à l'entrée d'une boîte ou d'un bar. Il y a quatre mois, j'ai voulu amener ma soeur fêter ses 40 ans dans un lieu parisien "tendance". Le videur nous a interdit l'entrée : "Je te connais pas !" Il aurait pourtant pu se souvenir de ma tête : j'étais déjà venu plusieurs fois ces dernières semaines, mais avec Dida Diafat, un acteur - dont je faisais le portrait pour Le Monde - et son ami, le chanteur.Pascal Obispo.


Fin 2003, je porte plainte contre une discothèque lyonnaise pour discrimination. Je me présente avec une amie, une "Française". Le portier nous assène le rituel "Désolé, y a trop de monde." Deux minutes plus tard, un groupe de quinze personnes - que des Blancs - entre. Je veux des explications. "Dégage !", m'expédie le videur. La plainte sera classée sans suite. J'appellerai Xavier Richaud, le procureur de la République de Lyon, qui me racontera qu'il n'y avait pas assez d'"éléments suffisants".


Que dire des taxis qui après minuit passent sans s'arrêter ? Que dire de la police ? Combien de fois m'a-t-elle contrôlé - y compris avec ma mère, qui a plus de 60 ans -, plaqué contre le capot de la voiture en plein centre-ville, fouillé jusque dans les chaussettes, ceinturé lors d'une vente aux enchères, menotté à une manifestation ? Je ne compte plus les fois où des agents ont exigé mes papiers, mais pas ceux de la fille qui m'accompagnait : elle était blonde.





En 2004, une nuit à Lyon avec une amie, deux policiers nous croisent : "T'as vu le cul qu'elle a !", lance l'un d'eux. "C'est quoi votre problème ?" rétorqué-je. Un des agents sort sa matraque et me dit en la caressant : "Il veut quoi le garçon ?" Le lendemain, j'en ai parlé avec Yves Guillot, le préfet délégué à la police : il m'a demandé si j'avais noté la plaque de leur voiture. Non...


En 2007, la brigade anticriminalité, la BAC, m'arrête sur les quais du Rhône à Lyon : j'étais sur un Vélo'v. On me demande si j'ai le ticket, si je ne l'ai pas volé. L'autre jour, je me gare en scooter sur le trottoir devant Le Monde. Je vois débouler une voiture, phares allumés : des policiers, mains sur leurs armes, m'arrêtent. Je leur dis que je travaille là. Troublés, ils me demandent ma carte de presse, mais pas mon permis.
Des histoires comme celles-là, j'en aurais tant d'autres à raconter. On dit de moi que je suis d'origine étrangère, un beur, une racaille, un islamiste, un délinquant, un sauvageon, un "beurgeois", un enfant issu de l'immigration... Mais jamais un Français, Français tout court.

mardi 22 septembre 2009

Apprendre de la sorcellerie


























Aurélien Blanchard.
À propos de Jeanne Favret-Saada, Les Mots, la mort, les sorts, et de Désorceler.



Apprendre de la sorcellerie



Annoncé il y a bientôt vingt-deux ans, Désorceler, deuxième volume d’un travail qui avait fait date dans l’anthropologie, Les Mots, la mort, les sorts (1977), vient d’être publié aux éditions de l’Olivier. Pour en saisir les enjeux, il est nécessaire de faire un petit détour par cette première publication.

Les Mots, la mort, les sorts

De juillet 1969 à septembre 1971, Jeanne Favret-Saada séjourna dans une région de bocage de l’Ouest de la France. L’objet de sa recherche n’avait rien de particulièrement original. Il avait été maintes fois étudié, et avait fait l’objet d’une grande littérature ethnographique : il s’agissait de la sorcellerie.

Pourtant, force est de constater avec Jeanne Favret-Saada que, si la littérature ethnologique sur la sorcellerie est abondante, elle est en revanche très pauvre. Elle se borne généralement à énoncer que ce qu’on nomme la sorcellerie n’est rien d’autre que la survivance d’un ensemble de croyances prémodernes qui prennent place dans un univers de paysans « arriérés », ce reliquat d’irrationalité étant attribuable à leur seul isolement géographique, etc. Par ailleurs, la difficulté vient de ce que les paysans rechignent à en parler, ce qui complique évidemment l’enquête : le seul discours accessible est celui, forcément dépréciateur, de notables rationalistes.

C’est la volonté de surmonter cette difficulté qui a, de façon apparemment accidentelle, amené Jeanne Favret-Saada à bousculer toutes les règles méthodologiques de l’anthropologie. Elle découvrit en effet que, si l’on ne parle pas de la sorcellerie, c’est en réalité pour une raison bien précise : c’est que la parole, c’est le pouvoir . Le pouvoir de faire du mal ; de tuer, parfois. Ne parlent donc de sorcellerie que les gens « pris dans les sorts » ou les désorceleurs, ceux qui ont assez de « force ». Il n’y a donc pas de place pour la fameuse relation d’information chère à l’anthropologue, car poser des questions sur la sorcellerie, c’est courir le risque d’attirer sur soi l’attention du sorcier, et c’est parfois même faire des choses. Si l’on persiste à poser des questions, c’est donc que l’on est soit un désorceleur, soit la victime d’un sorcier. « Autant dire qu’il n’y a pas de position neutre de la parole : en sorcellerie, la parole, c’est la guerre. Quiconque en parle est un belligérant et l’ethnographe comme tout le monde. Il n’y a pas de place pour un observateur non engagé. » (p. 27).

Pratiquer une autre ethnographie

Pendant plusieurs mois, Jeanne Favret-Saada a mené son travail de terrain de manière traditionnelle, sans résultat : « Tant que j’ai occupé la place ordinaire de l’ethnographe, celle de qui prétend désirer savoir pour savoir, mes interlocuteurs s’intéressaient moins à me communiquer leur savoir qu’à mesurer le mien, à deviner l’usage nécessairement magique que je désirais en faire, à développer leur « force » au détriment de la mienne ». Ainsi, moitié pour la jauger, moitié pour lui faire peur, les paysans lui demandaient régulièrement, quand elle tentait d’instaurer une relation d’information, «êtes-vous fort assez ? »

« Il m’a donc fallu tirer les conséquences d’une situation si totalement agonistique et reconnaître l’absurdité qu’il y aurait à continuer de revendiquer une neutralité qui n’était admissible, ni même crédible, pour personne. Quand la parole, c’est la guerre totale, il faut bien se résoudre à pratiquer une autre ethnographie» (p. 30).

Jeanne Favret-Saada s’est donc résolue à abandonner la rigidité et l’objectivité de l’ethnographe et à ne plus démentir posséder de la « force ». Ce qui n’a pas été facile, comme on peut le voir à la lecture de certaines pages particulièrement émouvantes dans lesquelles transparaissent le trouble et l’émotion de la chercheuse.










Ni observateur (quand bien même participant), ni réellement désorceleuse, Jeanne Favret-Saada a peu à peu commencé à recueillir de vrais récits vécus de sorcellerie, avant de devenir pendant deux ans la « patiente » d’une désorceleuse, puis de l’assister pour secourir les paysans victimes de « crise de sorcellerie ».

Arrêtons-nous un instant pour expliquer grossièrement ce qu’est une crise de sorcellerie. Elle se caractérise généralement par une série de malheurs – vaches malades, fausse couche de la compagne, récoltes détruites, etc. – qui, prise dans son ensemble, prend sens dès lors qu’on y voit l’effet d’une intelligence malveillante (« Pour que ça se répète ainsi, il faut bien supposer quelque part un sujet qui le désire», p. 23). Après s’être tournée en vain vers les autorités rationalistes de la région (le médecin, le prêtre), la « victime » se voit glisser à l’oreille, par quelqu’un ayant déjà eu lui-même affaire à la sorcellerie : « Y en aurait pas, par hasard, qui te voudrait du mal ? » Après avoir, sur les conseils de l’« annonciateur », pris contact avec un désorceleur – qui a bien évidemment une profession fantoche dans le civil pour éviter les dénonciations –, ils identifient ensemble le sorcier qui lui veut du mal. Il s’agit toujours d’un voisin (pas trop direct, mais pas trop éloigné non plus, à moins de cinq kilomètres environ) qui, par la parole, le regard ou le toucher, vole la « force » de sa victime. S’ensuit un duel magique – précisons que les rituels (les prières, le sel béni, etc.) sont très pauvres, et souvent contingents, et que seule la parole compte – afin de renverser le vol de la force et ramener l’équilibre. « On voit donc que le désenvoûtement consiste à répondre à une agression matérielle supposée (mais tenue pour certaine) par une agression métaphorique effective qui prétend atteindre le corps de sa victime en l’absence de celle-ci » (p. 133).

La structure entière de Les Mots, la mort, les sorts semble, à la réflexion, destinée à justifier cette entorse à la sacro-sainte règle de neutralité anthropologique. En effet, après un premier chapitre méthodologique, elle relate dans le second tiers de l’ouvrage deux « crises de sorcellerie » dont elle a été témoin mais où sa collecte d’information s’est soldée par un échec, en raison de son extériorité même. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux malheurs qui frappent la famille de Louis Babin, qui en viendra à lui demander de « rendre le mal pour le mal » (p. 252). Cette dernière étude, dans laquelle Jeanne Favret-Saada s’est personnellement impliquée, est évidemment la plus fouillée et la plus documentée, et c’est elle qui valide finalement la pertinence de l’intuition méthodologique de Favret-Saada.

La sorcellerie comme thérapie

Pourquoi, après ce livre non seulement important pour la méthode anthropologique mais également très beau en ce qu’il donne à voir comment un chercheur peut « se mettre en danger » sans hypothéquer la valeur scientifique de son travail, publier un deuxième opus – et dix-neuf ans plus tard, qui plus est ? Tout d’abord, un avertissement pour éviter au lecteur d’être déçu : Désorcelerest, à part le court Prélude, une reprise d’articles et d’interventions écrits entre 1985 et 1990. Si l’on regarde attentivement la couverture, on devine que son but et le public visé sont sensiblement différents de ceux de Les Mots, la mort, les sorts. En effet, la collection « Penser/Rêver », même si elle est ouverte sur d’autres disciplines, est principalement consacrée à la psychanalyse (une autre des cordes à l’arc de Jeanne Favret-Saada).

Dans Désorceler, elle revient de manière approfondie sur les deux ans qu’elle a passés comme cliente/assistante/anthropologue avec une désorceleuse, Mme Flora. Le style a changé : il est plus ferme, moins sur la défensive – sans doute Jeanne Favret-Saada a-t-elle moins de choses à prouver. Mais en gagnant en légitimité, son travail a peut-être un peu perdu de sa capacité à émouvoir, de sa capacité à bousculer les repères de ce qu’est la science, par son immersion dans la vie.

Elle y soutient que la pratique de la sorcellerie remplit la fonction de thérapie familiale. Pour résumer, d’après elle, le paysan du bocage doit faire sienne une certaine violence sociale symbolique (du fait qu’il reprend l’exploitation du père, qu’il voit ses frères écartés de l’héritage, etc.) qu’il n’est pas toujours à même de gérer une fois adulte (cette thèse est principalement développée dans le chapitre V, « Les ratés de l’ordre symbolique », ainsi que de manière plus théorique dans le chapitre II, « La thérapie sans le savoir »). Après avoir rappelé les acquis théoriques deLes Mots, la mort, les sorts (chapitre I) et démontré, à rebours des lieux communs ethnographiques qui veulent que les pratiques de sorcellerie n’aient pas évolué depuis un siècle, la plasticité historique de la sorcellerie dans le bocage (chapitre III), elle montre comment, dans une séance de désorcellement chez Mme Flora, bien d’autres choses sont en jeu que la seule sortie de la « crise de sorcellerie ».

Ce n’est qu’après coup, et après de très nombreuses séances, que Jeanne Favret-Saada s’est rendu compte que le tirage des cartes ne prenait que la moitié du temps de la séance. De façon tout à fait curieuse, en effet, les « clients » comme la chercheuse ne se rappelaient que de cette pratique divinatoire (p. 103). En fait, Mme Flora mène deux opérations en plus de la cartomancie : d’une part, elle accomplit ce que l’auteure appelle un « déminage du terrain anxiogène ». Partant du principe qu’elles n’ont pas assez de « force », les victimes s’interdisent d’avoir les moyens d’être à la hauteur des différentes situations conflictuelles qui font leur quotidien. Mme Flora, si elle sent qu’une situation les impressionne, en fait un jeu de rôle où elle joue les deux voix. Ainsi, elle détaillera toutes les réponses à faire au créditeur en colère selon la direction prise par la conversation. Si ce « déminage du terrain anxiogène » passe inaperçu, c’est qu’il est en permanence entrelacé au tirage de cartes. Par ailleurs, la première séance se termine toujours par des prescriptions rituelles qui, si elles ont souvent l’air anodines, sont cependant tellement contraignantes qu’elles obligent la victime à « reprendre le contrôle de sa vie » (dans le même ordre d’idée, on notera qu’il est souvent recommandé au paysan de réciter une prière offensive spécifique, mais dans laquelle le nom du sorcier agresseur est laissé en blanc. Ainsi, seule la victime a le pouvoir de nommer et, prenant l’initiative de l’agression magique, elle récupère du même coup la maîtrise de sa vie).

Ce deuxième volume, s’il n’a en définitive pas le même pouvoir de suggestion ni la même force épistémologique que le précédent, reste un grand livre d’analyse anthropologique (et, à la marge, psychanalytique), et met en son centre une question auparavant absente du travail de Jeanne Favret-Saada : comment fait-on du bien aux gens ? Il est rassurant de voir, hors de la lutte entre les orthodoxies psychanalytiques et les doxas des thérapies comportementalo-cognitives, quelqu’un faire sien, même de manière implicite, le credo du psychiatre Milton Erickson : « La première chose à faire en psychothérapie est de ne pas essayer de contraindre l’être humain à modifier sa manière de penser ; il est préférable de créer des situations dans lesquelles l’individu modifiera lui-même volontairement sa façon de penser . »

Aurélien Blanchard est éditeur et membre de l'équipe de La Revue Internationale des Livres et des Idées.


article paru dans La Revue Internationale des Livres et des Idées.
http://revuedeslivres.net/articles.php?idArt=435&page=actu



des pistes

  • http://drfaustroll.blogspot.com/
  • http://ffffound.com/
  • http://fredericmagazine.free.fr/
  • http://ghostcapital.blogspot.com
  • http://holywarbles.blogspot.com
  • http://josephghosn.wordpress.com
  • http://rezo.net
  • http://rootstrata.com/rootblog
  • http://ttttttttttttttttttttt.bandcamp.com
  • http://www.lamaisonpopulaire.com
  • http://www.lechantierdubonheur.com
  • http://www.maisondurableportneuf.blogspot.com
  • http://www.myspace.com/thetastycool
  • http://www.myspace.com/voie_e/
  • http://www.myspace.com/waitingforthesundown
  • http://www.nick-grey.com
  • http://www.xsilence.net
  • https://www.wfmu.org
  • www.myspace.com/davidtetard/